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Face aux 500.000 réfugiés syriens, la machine humanitaire a des ratés

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Face aux 500.000 réfugiés syriens, la machine humanitaire a des ratés<

Proche-Orient Les moyens sont déjà insuffisants, alors que l’afflux devrait s’accélérer

Maroun Labaki
LeSoir
19 Décembre 2012

Reportage

Amman

De notre envoyé spécial

Dans la capitale jordanienne, tous les matins, c’est la même chose. Devant l’immeuble du haut-commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR), des centaines de personnes se pressent, bravant le froid piquant. Beaucoup de Syriens, et encore plus de Syriennes. Les yeux des femmes sont rouges, quand ils ne sont pas encore gorgés de larmes.

« Nous, nous venons de Homs, nous raconte l’une d’elles. Deux mois de bombes, de massacres et de cadavres en décomposition dans les rues… Mon fils crie toutes les nuits maintenant. Nous sommes d’abord partis à Damas, puis vers le sud, avant de traverser de nuit, à pied, sans papiers, vers la Jordanie, au mois d’août. » « Il n’y a plus de nourriture en Syrie, poursuit-elle : tout va aux familles alaouites… » Un homme crie : « Pas de photos, pas de photos ! » Aucun appareil photo n’est sorti, mais la peur est là, tenace, de représailles contre la famille restée en Syrie.

Le personnel du HCR travaille sept jours sur sept. Pourtant, ceux qui entrent dans le bâtiment n’obtiendront un rendez-vous pour s’enregistrer qu’en… juillet prochain ! Or sans enregistrement, pas de protection, pas d’aide, pas d’école pour les enfants, etc. « Dix ONG nous ont promis une assistance en attendant notre enregistrement, dit un homme en colère, mais aucune ne nous a jamais rappelés. »

Une femme en pleurs, accompagnée de trois adolescents, interpelle Tala, la jeune employée du HCR qui nous guide : « Je suis leur tante. Il faut les aider, je vous en prie. La maman de l’un d’eux habite aux Pays-Bas… » Tala lui prend le bras, l’assure que, pour les mineurs non accompagnés, ça va plus vite. « Tous ces malheurs me donnent la chair de poule, nous confie Tala un peu plus loin. Mais nous n’avons pas de solutions à long terme. »

La crise humanitaire s’aggrave cependant de jour en jour. Selon le HCR, les réfugiés syriens seraient un demi-million aujourd’hui, en Turquie, au Liban et en Jordanie – des pays fragiles au départ. Estimation pour fin décembre : 700.000 réfugiés ! On affirme à Amman que la Jordanie abriterait déjà quelque 250.000 réfugiés syriens.

Tablant sur les solidarités locales, la très grande majorité d’entre eux se sont installés dans les petites villes et villages du nord du pays. C’est le cas de Yassir, de sa femme et de leurs six enfants, arrivés en juin. Ils vivent à présent dans un grand dénuement, et dans une petite « maison » à Mafraq, qu’ils louent l’équivalent de 160 euros par mois. Le HCR leur donne 100 euros par mois. Pas d’économies, pas d’autres revenus, pas de travail : la débrouille… Ce matin, ils reçoivent de la Commission internationale catholique pour les migrations (ICMC) un poêle au gaz – payé par l’Union européenne. Avec une bonbonne pleine et trois bons pour des recharges. De quoi chauffer quatre mois.

Leur voisin Naasan, plus âgé, est passé en Jordanie en mai avec sa femme et plusieurs de ses enfants et petits-enfants. « Nous avons vu les Alaouites rassembler quelque septante hommes et les massacrer », nous déclare-t-il. Sa femme nous montre deux photos sur son GSM : l’une, d’un bel homme en tenue de combattant ; l’autre, d’un cadavre horriblement mutilé. « Mon frère, lance-t-elle d’une voix dure. On a récupéré son corps. Ils l’avaient torturé à la foreuse… »

Avec de l’argent européen, ICMC a payé six mois de loyer au propriétaire du logement loué par Naasan, soit l’équivalent de 850 euros. « La plupart des réfugiés syriens sont des gens simples, venus du sud du pays, explique Anika, d’ICMC. Ils ne rêvent pas d’aller faire fortune en Amérique. Ils veulent juste retourner chez eux. Soit nous leur donnons un poêle – nous en avons 350 –, soit nous payons leur loyer. Et dix pour cent de nos bénéficiaires sont des Jordaniens… Mais les besoins sont de loin supérieurs à ce que nous pouvons offrir. »

Au début, les Jordaniens – marqués par l’expérience des Palestiniens – ne voulaient pas de camps de réfugiés syriens. Toutefois, fin juillet dernier, confrontés à des arrivées massives, ils ont été contraints d’ouvrir le camp de Zaatari, sur une ancienne base militaire à 8 kilomètres de la frontière. A présent, c’est une petite ville de tentes et de « caravanes résidentielles », qui héberge 35.000 personnes sur 9 km2, aux confins du désert.

Dans le camp, la concurrence humanitaire joue à fond, et les Jordaniens peinent à coordonner les bonnes volontés et les agendas politiques des donateurs. Exemple : les trois grands hôpitaux (le français, le marocain et l’italien) se trouvent côte à côte, dans la même zone du camp. Il y a aussi un hôpital saoudien, un dispensaire pour les premiers soins, un poste de Médecins du monde, etc. Le malade peut aller de l’un à l’autre, ou même les consulter tous à sa guise. L’efficacité générale n’est, du reste, guère servie par l’opacité de certains financements « islamiques »…

« Nous ne recevons que du riz et du bourghol, se plaint une femme sortie de sa tente. Mais pas un sou, rien ! Ma fille et moi pleurons pour une pomme, Monsieur, il faut nous aider ! » Les voisines arrivent rapidement, toutes pour se plaindre de la propreté de l’eau potable.

Marin, de l’antenne de Zaatari du HCR, met en garde : « Nous avons reçu 1.357 réfugiés la nuit dernière et 797 la nuit d’avant. Ce camp peut au grand maximum accueillir 70.000 réfugiés. Or entre 130.000 et 150.000 Syriens “déplacés” se trouvent de l’autre côté de la frontière, et peuvent arriver ici à tout moment. »

Tout dépendra, bien sûr, de l’évolution de la situation militaire en Syrie. Sur la grand-rue du camp, qui grouille de monde, Mahmoud vend, à prix d’or, quelques légumes. Il préfère parler politique que commerce de détail. « Nous allons attendre le Nouvel An, proclame-t-il. Si Bachar ne tombe pas d’ici là, les hommes du camp vont retourner en Syrie pour se battre. Nous gagnerons ou nous mourrons en martyrs. »